Ce cher vieux Max !
Rencontre avec Max Jacob (1876-1944), poète, romancier, mais aussi dramaturge.
Extraits des pièces « Les Pétroles du Béloutchistan » et « Ruffian toujours, truand jamais ».
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Florence Huige
- Nathalie Lacroix
- Geneviève Rey-Penchenat
- Aurélien Baré
- Harold Crouzet
- Paul Marchadier
- Jean-Claude Penchenat
- Raphaël Tanant
Lieux
- Forum 104, Paris 6e
- Théâtre de Meudon (92)
« Il se voulait avant tout léger, bouffon, aérien comme Dieu, sans doute, laissant aussi bien les Himalayas que les Buttes-Chaumont, les gouffres marins que les lacs du Bois de Boulogne, ni Dieu ni Max n’aimaient achever leurs créations, tous deux voulaient que ça jaillisse, que ça respire, que ça vive, voilà : Max Jacob voulait que ça vive… »
Jean-Claude Grumberg
AMOUR DU PROCHAIN
à Rousselot
Qui a vu le crapaud traverser une rue ?
C’est un tout petit homme : une poupée n’est pas plus minuscule.
Il se traîne sur les genoux : il a honte, on dirait… ? Non !
Il est rhumatisant. Une jambe reste en arrière, il la ramène !
Où va-t-il ainsi ? Il sort de l’égout, pauvre clown.
Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue.
Jadis personne ne me remarquait dans la rue.
Maintenant les enfants se moquent de mon étoile jaune.
Heureux crapaud ! Tu n’as pas l’étoile jaune.
Max Jacob (Drancy, 1944)
LA CHANSON DE MARIANNE
Marianne avait un cheval blanc,
Marianne avait un cheval blanc.
Noir par derrière rouge devant,
Noir par derrière rouge devant.
Il avait une crinière,
Comme une crémaillère.
Il avait une étoile au front,
Du crin sur les boulons.
Il avait des sabots grenat,
Il avait des sabots grenat,
De la même couleur que vos bas,
De la même couleur que vos bas.
Où allez-vous Marianne,
Avec votre alezane ?
Où allez-vous Marianne Duclos
En sortant de l’enclos ?
Je vais au champ de courses de Quimper,
Je vais au champ de courses de Quimper.
Voir s’il a beaucoup plu hier,
Voir s’il a beaucoup plu hier.
S’il n’y a pas de crotte,
Je ferai un peu de trotte,
Mais s’il n’y a pas moyen de marcher,
J’irai jusqu’au marché.
Marianne la route de l’hippodrome,
Marianne la route de l’hippodrome,
N’est pas celle du marché couvert.
N’est pas celle du marché couvert.
Tout chemin mène à Rome,
Monsieur de Ric en Drôme.
Tenez mon cheval par la main,
D’ici jusqu’au chemin.
Mais le cheval prit le galop,
Mais le cheval prit le galop,
Et Marianne faisait des signaux,
Et Marianne faisait des signaux.
Messieurs de la voiture,
Arrêtez ma monture,
Arrêtez ma monture.
J’ai peur de tomber tout à l’heure.
Elle n’avait pas fini ces mots,
Elle n’avait pas fini ces mots,
Qu’elle était devant les sabots,
Qu’elle était devant les sabots.
Elle est tombée la brune,
Vite dans la tribune,
Dans la tribune du préfet,
Qu’est justement dressée.
Marianne avait un amoureux,
Marianne avait un amoureux,
Qui pleura les pleurs de ses yeux,
Qui pleura les pleurs de ses yeux.
Que personne ne sorte.
Marianne Duclos est morte.
Moi je vais me faire engager,
Dans les chasseurs à pied.
Max Jacob, 1925
LES PÉTROLES DU BÉLOUTCHISTAN
Scène V
Mme Lamprière – Mme Schwarz.
Madame Schwarz – Jarmant ! jé jarmant jé vous ! guel joli indérieur ! mais ché drouve que za mangue d’indimidés les indérieurs bariziens.
Madame – Il paraît que vous avez un véritable palais dans le Luxembourg. Vous avez des trésors !
Madame Schwarz – Un balais, oui ! à goi bon guand on est douchours seule !
Madame – N’ayez crainte ! Nous vous marierons ! Fiez-vous à moi, pour cela, vous verrez ! Entre femmes, on se soutient, n’est-ce pas ?
Scène VI
Les mêmes plus le jeune homme et Monsieur Lamprière.
Présentation.
Le jeune homme baise la main de Mme Schwarz. Il a une fleur à la boutonnière.
Madame Schwarz – Ché fois que fous êdes dix-huidième ziègle. Chaime peaugoup les cheunes hommes dix-huidième ziègle. À Baris, les cheunes hommes zont drès fulgaires, ché drouve.
Madame – Ah ! nous vous laissons, le salon est plein de monde. Jeune homme, je vous recommande Madame Schwarz (un petit geste du doigt que Madame Schwarz aperçoit). C’est la femme la plus spirituelle de Paris !
Madame et Monsieur sortent
Scène VII
Le jeune homme (gaillard et transformé) – Mme Schwarz.
Le jeune homme – La recommandation est inutile, Madame. Il n’est pas besoin d’être grand physionomiste pour voir que Madame Schwarz est de la grande confédération internationale des gens d’esprit.
Madame Schwarz – C’est frai qu’il y a des chens intellichents bartout. Il y en a zurdout à Baris, Mésieur.
Le jeune homme – Partout où il y a des jolies femmes, il y a des hommes qui savent leur dire qu’elles le sont.
Madame Schwarz – Za, zé drès choli ! fus tides drès pien les joses à Baris. En Luxembourg les cheunes chens ne safent pas brendre la daille aux tames ou pien ils zont d’une bolidèze ritigule.
Le jeune homme – Hé ! hé ! à Paris, à défaut de politesse, on a parfois des tentations de même ordre.
Madame Schwarz – Oh ! Mézieu, ne tites pas te calanderies à une fieille vemme. Ché bourrais êdre fodre mère !
Le jeune homme – On se marie donc à sept ans dans votre Luxembourg ?
Madame Schwarz – Oh ! Mézieu ! fous êdes drop aimable. Ché gombrends pien zé gue fous foulez mé tire mais ché bassé guarande ans, safez-vous. (Elle va se servir du thé)
Le jeune homme (à part) – La veille coquine, elle en a même passé 50. Papa et maman sont bien pauvres ! Enfin ! soyons honnêtes ! faisons l’éloge de M. Jules aveuglément puisque c’est pour cela que nous sommes invité. (haut) Y-a-t-il longtemps que vous connaissez Madame Lamprière ?
Madame Schwarz – Un mois ! Ce sont des chens garmants, drès Bariziens.
Le jeune homme – Vous ne connaissez pas encore son frère, Monsieur Jules.
Madame Schwarz – Il barait que c’est un cheune homme drès élécant. Chafais crand hâte de faire sa gonnaizance mais tepuis que ché fous ai fu, ché peaugoup moins hâde. Fous me blaisez peaugoup.
Le jeune homme – Hélas ! ce n’est pas de moi que… je veux dire… que si vous connaissiez M. Jules, il vous plairait ! Il est si élégant ! Il parle toutes les langues ! Il est à la Bourse ! Il fait beaucoup d’affaires ! Il a des maîtresses ! oh ! des maitresses !
Madame Schwarz – Oh ! za m’est pien équal za vortune, chen ai bour teux et zes maidrezes, za me découte. Zé zuis drès chalousse. Ché né foudrais bas t’un mari gui drombe.
Le jeune homme – Vous ne connaissez pas les Parisiens ! une fois mariés, il n’y a pas plus bourgeois qu’un parisien. S’ils vont dans le monde, c’est pour leurs affaires ou leurs décorations. Ils élèvent leurs enfants avec soin pour en faire de vrais parisiens comme eux. Ils aiment leur femme parce qu’ils ont des intérêts communs. Ils n’ont pas de maîtresse puisque les maîtresses coûtent cher et que tous les parisiens sont gênés par l’argent.
Madame Schwarz – Fous afez peaugoup d’ezbérience bour un cheune homme. C’est peau d’êdre zi zrieux à fôtre âche. Et fous fous ogupez de boesie dout de même !
Le jeune homme – Monsieur Jules s’occupe aussi de poésie.
Madame Schwarz – Mais ché fois que fous aimez beaugoup fos amis. C’est peau et z’est rare !
Le jeune homme – Quoi de plus naturel que d’aimer ses amis ! Monsieur Jules est un grand débrouillard qui m’a toujours fait envie.
Madame Schwarz – Fous n’aimez tonc bas tant la boesie ! Téprouillard ! On m’a dit gue fous aimez la boesie.
Le jeune homme – Si j’aime la poésie, Madame ! Je suis avocat. Au barreau, nous aimons tous la poésie.
Madame Schwarz – Mézieu Chules n’aime bas la boesie. Il est de la Bourse. C’est un Barizien. Les Bariziens, ils n’aiment pas tu dout la boesie. Les Bariziens n’ont bas d’itéal.
Le jeune homme – On se trompe beaucoup sur les Parisiens. Ils ne montrent que rarement ce qu’ils aiment. Je vous assure qu’on peut être Parisien… et boursier… et aimer la poésie.
Madame Schwarz – Égoudez-moi, mézieu, aimez-fous les foyaches ? Moi, chai peaugoup foyaché, j’aime peaugoup les voyaches.
Le jeune homme – Mon père était dans les ambassades. Mon enfance a été promenée d’Asie en Amérique et d’Amérique en Asie. On ne s’occupait guère de moi mais je regardais. Ah ! le Japon ! Le Japon ! Les Petites Antilles ! et la Bretagne ! Je crois que c’est ce que je préfère au monde.
Madame Schwarz – La Pretagne ? Gu’est ze gue z’est gue la Pretagne ? Pas la Krande, non ?
Le jeune homme – Les gens ! la verdure ! les villes ! les rochers ! Tout est pareil dans ce coin du monde et tout cela est si tendre, si barbare, si intime, si émouvant qu’on s’y sent partout comme en famille même dans les endroits désolés et déserts.
Madame Schwarz – Ché né gonnais bas le Chapon ! Fous gonnaissez le Chapon ?
Le jeune homme – Oh ! il n’y a pas si longtemps ! si longtemps ! Il m’est resté le souvenir d’îles toutes vertes et si serrées les unes contre les autres qu’il n’y a pas de mers qui n’y paraissent une rivière ou un lac. Mon père disait que les Chinois sont bien plus intelligents que les Japonais. Les Japonais sont des paysans, mais les Chinois…
Madame Schwarz – Ch’atore le Chapon ! J’atore auzi la Pretagne ! Et les bédides Antilles ?
Le jeune homme – Monsieur Jules connaît les Petites Antilles.
Madame Schwarz – Oh ! Il ne zaurait bas ragonder les bédides Antilles gomme fous ! Égoudez mézieu, fous me blaisez. Foulez-fous fous marier afec moi ?
Le jeune homme – Moi, Madame ? Mais je ne suis qu’un pauvre garçon sans situation. Mes parents n’ont plus rien qu’une petite pension – Je suis inscrit au barreau…mais le barreau… le barreau… non ! Je vous assure, je suis très flatté mais, croyez-moi, c’est impossible. Il y a aussi M. Jules… non, voyez-vous… Non !
Il lui prend la main et la baise.
Madame Schwarz – Si fous foulez fous marier afec moi, nous irons à Fenise. Ché faudrais refoir Fenise afec un cheune homme insdruit comme fous.
Le jeune homme – Vous êtes bonne, vous êtes noble, vous êtes simple, vous me plaisez. Voulez-vous, soyez une grande amie, mais je ne puis pas accepter. Vous… vous êtes trop riche. L’honneur défend certains mariages même quand ils pourraient faire notre bonheur et celui…
Madame Schwarz – L’honneur bour fous ou bour les audres, zi c’est bour fous, fous safez que fous ne m’afez bas reguargée. Zi z’est bour les audres, zé fous vérez si heureux gue fous n’y benserez blus.
Le jeune homme – Vous avez de l’esprit, Madame.
Madame Schwarz – Fous me blaisez de blus en blus. Ché fous enlèfe !
Le jeune homme – Que vont dire les Lamprière ?
Madame Schwarz – Nous irons à Fenise foir les peaux dableaux en contoles.
Le jeune homme – Le printemps à Florence ! Quel rêve !
Madame Schwarz – Bourgoi un rêve ? C’est une réalidé.
Le jeune homme – Madame, voici les Lamprière.
Les Pétroles du Béloutchistan, Max Jacob