Renoir, père et fils
Extraits de films : Nana, La Règle du jeu, La Chienne, Orvet, Toni. De la pièce Carola. Ainsi que de Pierre-Auguste Renoir, mon père et Ma vie et mes films.
Correspondance avec François Truffaut. Lettres à Leslie Caron et à Ingrid Bergman. Extrait de Le Temps dévoré de Denise Tual.
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Brigitte Belle
- Nathalie Lacroix
- Paul Marchadier
- Jean-Claude Penchenat
- Alexis Perret
- Damien Roussineau
Lieux
- Cinémathèque, Paris 12e
- Forum 104, Paris 6e
« J’ai passé ma vie à tenter de déterminer l’influence de mon père sur moi, sautant de périodes où je faisais tout pour échapper à cette influence à d’autres où je me gavais de formules que je croyais tenir de lui. »
Jean Renoir
LA RÈGLE DU JEU
Jean Renoir, 1939
Schumacher – Allez, marche devant ! Allez, avance, t’as pas fini de traîner, allez !
Robert – Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que c’est ?
Schumacher – C’est Marceau, monsieur le Marquis !
Robert – Marceau quoi ? Marceau qui ?
Schumacher – Ben, Marceau le braconnier !
Robert – Ouais… V’nez ici !
Schumacher – On l’a pris en flagrant délit.
Robert – En flagrant délit de quoi ?
Schumacher – Il a posé des collets en bordure du p’tit bois.
Ils sortent vers la droite.
Robert – Destruction de lapins ?… Mais c’est un homme précieux. Faut m’le relâcher tout de suite.
Schumacher – Monsieur le Marquis veut plaisanter ?
Marceau – Je savais bien que m’sieu le Marquis m’comprendrait. C’est un homme intelligent, lui, c’est pas comme c’te…, c’te grande brute !
Il désigne Schumacher, furieux.
Schumacher – Grande brute ? Toi, j’vais t’apprendre la politesse. (Cris)
Marceau – Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Pour un p’tit lapin…, un p’tit lapin…
Schumacher, en même temps – On devrait avoir le droit de tirer sur des crapules pareilles.
Marceau, faisant mine de reprendre son lapin – … de rien, de rien, de rien du tout !
Plan américain éliminant Schumacher et cadrant Marceau de face et Robert, de profil, à droite.
Robert – Tu t’appelles Marceau ?
Marceau – Oui, monsieur le Marquis.
Robert – Tu es braconnier ?
Marceau – J’suis plutôt rempailleur de chaises. Seulement dans ma partie, c’est comme dans tout, y a la crise. Monsieur le Marquis m’comprendra, lui. Alors, j’m’occupe.
Schumacher, off – T’appelles ça t’occuper ? M’sieur le Marquis, pendant la guerre, j’ai tiré sur des gars qui en avaient fait moins qu’lui.
Robert, impatienté – Ça va, ça va ! Marceau, tu as une tête qui me revient.
Marceau, ravi – Monsieur le Marquis est bien bon !
Plan rapproché poitrine de Schumacher.
Schumacher – C’est d’la graine de crapule, m’sieur le Marquis !
Plan rapproché poitrine de Marceau (trois quarts dos) et Robert (trois quarts face).
Robert, à Schumacher – Taisez-vous !… (puis à Marceau) Au lieu de travailler, … disons en amateur, tu n’aimerais pas mieux détruire les lapins pour mon compte ?
Contrechamp sur Marceau.
Marceau – Oh !… Monsieur le Marquis veut m’engager !… Ah ben !… J’dis pas non. Pas, après tout, moi…, si je braconne, c’est pas par méchanceté…, c’est pour nourrir ma vieille mère !…
Plan rapproché-poitrine de Schumacher.
Schumacher – Monsieur le Marquis, i’ n’a pas de vieille mère !
Retour sur Marceau, seul, qui se retourne indigné. Léger recadrage sur lui, Robert étant en amorce à droite.
Marceau – Moi…, j’ai pas de vieille mère ?… Moi…, je n’ai pas de vieille mère ?…
Plan rapproché-poitrine de Marceau (trois quarts dos) et Robert (trois quarts face).
Robert – Schumacher, continuez votre tournée. Laissez-moi tranquille !
Schumacher – Bien, monsieur le Marquis.
Robert, amusé – Eh !…, dis donc, Marceau…, tu as sûrement posé d’autres collets par ici ?… Tu ne veux pas m’en montrer un ?
Marceau, revenant en plan américain – Volontiers, monsieur le Marquis…, puisque j’suis à vot’ service, j’n’peux pas vous refuser ça !… Par ici !…
Travelling arrière avec léger recadrage jusqu’à les cadrer en plan moyen large. Ils sortent vers la droite.
Ils entrent à gauche en plan rapproché-taille contreplongée sur faîtes d’arbres. Ils sont de face devant les bouleaux.
Puis ils bavardent de profil.
Robert – Alors, ça te plaît de travailler chez moi ?
Marceau – Ça me plaît, mais j’aurais mieux aimé travailler au château.
Robert – Pourquoi ? T’aimes pas ça les bois, la nature…
Marceau – Ben, avec Schumacher, pas plus qu’ça ! Ici, vous vous croyez chez vous, mais c’est plutôt son domaine, … tandis qu’au château i’ s’ra bien obligé de m’laisser tranquille… Et puis j’ai toujours rêvé d’être domestique.
Robert – Quelle drôle d’idée ! Pourquoi ça ?
Marceau – À cause du costume ! Avoir un habit, c’est mon rêve !
LETTRE DE FRANÇOIS TRUFFAUT À JEAN RENOIR
À Jean Renoir 27 décembre 1962
Beverly Hills Paris
Cher Monsieur Renoir,
Je vous remercie de m’avoir répondu si vite et si gentiment pour Carola.
C’est une forte belle pièce, et dans un genre tout différent d’Orvet, une œuvre probablement aussi forte et aussi émouvante.
Je suis très heureux de l’avoir lue malgré qu’il me soit impossible de la retenir pour l’émission que l’on me propose de faire à Europe n° 1.
En effet, les initiateur de cette entreprise m’ont fait savoir récemment qu’il s’agissait de « dramatiques » de 60 minutes, ce qui est dans mon optique change tout, et qui est dans la leur ne change rien, tant il leur semble naturel de couper une demi-heure de texte dans une bonne pièce de 90 minutes !
Je ne sais pas encore si je vais renoncer purement et simplement à faire ce travail pour eux, ou bien si je le ferai quand même en trouvant une pièce de genre mineur, à schéma policier par exemple, que l’on pourrait condenser sans inconvénients.
Si vous n’envisagez pas de monter Carola dans un proche avenir, il me semble que ce serait bien de le confier à Gallimard pour la collection qui a édité Orvet : Le manteau d’Arlequin.
J’ai commencé à lire votre livre : Renoir, et c’est vraiment une grande chose.
L’autre soir, nous étions une douzaine à réveillonner chez Jeanne Moreau. Tout le monde s’offrait des cadeaux et le seul cadeau commun à 4 ou 5 d’entre nous était justement votre livre.
Naturellement tous les cinéphiles pensent que vous devriez, dans le même esprit, écrire un livre de souvenirs sur le tournage de vos films, et je le pense aussi.
Si vous êtes très occupé, ne vous donnez pas la peine de me répondre, car je téléphone de temps à autres à Ginette Doynel qui me donne de vos nouvelles.
Ma femme et moi, nous vous souhaitons à tous deux une bonne année.
François Truffaut