Enfance perdue, Enfance retrouvée
Extraits de textes de : François Mauriac, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Michaux, Georges Perec, Marie-Louise Audiberti, Stendhal, Nathalie Sarraute, Elias Canetti, Anatole France, Chateaubriand, Thomas Bernhard, Maxime Gorki, Ingmar Bergman, Jules Vallès, Jacques Audiberti, Ernest Renan, La comtesse de Ségur, Hélène Cixous, Albert Camus, Cavanna.
Chansons de Prévert et Kosma
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Claudine Bensaïd
- Evelyne Ertel
- Claire Lamarre
- Geneviève Rey-Penchenat
- Daniel Carraz
- Christian Gandiol
- Jean-Claude Penchenat
- Alexis Perret
Lieux
- Forum 104, Paris 6e
- Fayence (83)
« Un jour, qui était le jour de l’an, Damase, à l’âge de huit ans, à Cahors, s’en allait, tout seul, dans son pardessus à boutons dorés, le béret bien droit, les souliers cirés. On lui avait donné une pièce de cinq francs toute ronde et un tir à ventouses. Il précédait sa maman. Sa maman le rejoindrait à la pâtisserie.
Soudain, sur le trottoir, il vit un pauvre, le premier pauvre de sa vie.
Le pauvre était assis sur le trottoir comme sur un lit, les jambes ouvertes.
Il avait à côté de lui une bouteille de vin rouge posée sur le trottoir comme sur un guéridon. Le trottoir était les meubles du pauvre.
Le pauvre avait un visage enflammé, une grosse barbe blonde. Malgré sa pauvreté, il chantait d’une voix forte. Des jeunes filles en cheveux le regardaient en riant. Il était si pauvre que son pantalon n’avait pas de boutons.
Damase, bouleversé, s’arrêta devant le pauvre. Il se mit à trembler. Il jeta, dans le pauvre, sa pièce de cinq francs. Retournant sur ses pas, il courut de toutes ses forces à la maison.
Il se précipita contre Marceline, comme pour se loger, de nouveau, dans la chair maternelle. Il criait : « Maman ! Maman.! Il y avait un pauvre… Ce qu’il était pauvre ! La chair lui sortait de partout. Il était couché sur le trottoir, dans les crachats, oui, dans les crachats. C’est terrible. Il faut lui apporter de l’argent. Il faut lui apporter tout l’argent de la maison. Puisque c’est comme ça, j’aime mieux m’en aller. Puisqu’il y a des pauvres, puisqu’on permet qu’il y ait des pauvres, maman, dans les crachats, sur le trottoir, j’aime mieux m’en aller, mourir. Maman, il faut l’aider, le sauver… »
Elle, contre elle, pressait son fils. C’était trop, quand même. C’était trop de cœur. C’était trop de pain. C’était trop de tout. Il sera malheureux, pensa-t-elle. Elle serrait contre elle cet inventeur enfantin de l’amour, ce pain des anges, transportée, un peu dégoûtée. »
Monorail, Jacques Audiberti
« Dans le voisinage de notre vigne se dressait un poirier chargé de fruits qui n’avaient aucun attrait de saveur, ni de beauté. Nous allâmes en bandes de jeunes vauriens secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit. (…) Si nous en mangeâmes un peu, tout notre plaisir vint de ce que cela nous était défendu. »
Les Confessions, Saint Augustin
« J’ai l’impression d’avoir été dans mon enfance comme une ruche où des gens divers, simples et obscurs, apportaient, tels des abeilles, le miel de leur expérience et de leurs idées sur la vie ; chacun d’entre eux à sa manière enrichissaient généreusement mon âme. Souvent ce miel était impur et amer, mais qu’importe, toute connaissance est un précieux butin. »
Enfance, Gorki
MA MÈRE
Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait ? Je n’en sais rien. Quel que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit : je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisotté ; j’ai été beaucoup fouetté.
Ma mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins ; quand elle n’a pas le temps le matin, c’est pour midi, rarement plus tard que quatre heures.
Mademoiselle Balandreau m’y met du suif.
C’est une bonne vieille fille de cinquante ans. Elle demeure au-dessous de nous. D’abord elle était contente : comme elle n’a pas d’horloge, ça lui donnait l’heure. « Vlin ! Vlan ! zon ! zon ! – voilà le petit Chose qu’on fouette ; il est temps de faire mon café au lait. »
Mais un jour que j’avais levé mon pan, parce que ça me cuisait trop, et que je prenais l’air entre deux portes, elle m’a vu ; mon derrière lui a fait pitié.
Elle voulait d’abord le montrer à tout le monde, ameuter les voisins autour ; mais elle a pensé que ce n’était pas le moyen de le sauver, et elle a inventé autre chose.
Lorsqu’elle entend ma mère me dire : « Jacques, je vais te fouetter !
— Madame Vingtras, ne vous donnez pas la peine, je vais faire ça pour vous.
— Oh ! chère demoiselle, vous êtes trop bonne ! »
Mademoiselle Balandreau m’emmène ; mais au lieu de me fouetter, elle frappe dans ses mains ; moi, je crie. Ma mère remercie, le soir, sa remplaçante.
« À votre service, » répond la brave fille, en me glissant un bonbon en cachette.
Mon premier souvenir date donc d’une fessée. Mon second est plein d’étonnement et de larmes.
L’Enfant, Jules Vallès