Couples… complices
Une promenade au gré du vent à travers diverses images de la complicité amoureuse, amicale, littéraire. D’Adam et Eve à Tristan et Iseut, de Montaigne et La Boétie à Bouvard et Pécuchet…
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Chloé de Bouter
- Catherine Verlaguet
- Paul Marchadier
- Jean-Claude Penchenat
- Alexis Perret
- Damien Roussineau
Lieux
- Forum 104, Paris 6e
- Fayence (83)
LES DEUX TIMIDES
CÉCILE – Puis-je, monsieur, vous supplier…
FRÉMISSIN – De quoi ?
CÉCILE – D’avoir la complaisance De me tenir mon sucrier ?
FRÉMISSIN – Avec bonheur ! avec transport !…
FRÉMISSIN, à part, tenant le sucrier – Si son père nous surprenait dans cette position !… Il faut pourtant que je lui dise quelque chose… j’ai l’air d’un idiot ! (Surmontant sa timidité, haut) Mademoiselle Cécile !…
CÉCILE, avec un sourire encourageant – Monsieur Jules ?
FRÉMISSIN, balbutiant – Il est bien blanc, votre sucre !…
CÉCILE – Comme tous les sucres…
FRÉMISSIN, avec tendresse – Oh ! non, pas comme tous les sucres !
CÉCILE, à part – Qu’est-ce qu’il a donc ?
FRÉMISSIN, à part – J’ai été trop loin. (Haut) Est-il de canne ou de betterave ?
CÉCILE – Je ne sais pas… je n’en connais pas la différence.
FRÉMISSIN – Oh ! elle est très grande… l’un est bien plus… tandis que l’autre… est récolté par les nègres…
CÉCILE, le regardant très étonnée – Ah ! je vous remercie ! Elle reprend son sucrier, s’éloigne de lui et va au buffet.
FRÉMISSIN, à part – C’est bien fait ! pourquoi vais-je me fourrer dans la question des sucres ?
CÉCILE, voyant entrer Thibaudier – Voici mon père !
FRÉMISSIN – Ah ! mon Dieu !
Les deux timides, 1860
Eugène Labiche
LUCIENNE – Et puis je suis forte, vous savez. Touchez mes bras ! Allons, touchez ! On vous dit de toucher !
DUXIN – C’est vrai. Vous êtes si mince… et bien plus jolie qu’il ne faut pour couper de la viande…
Lucienne et le boucher, 1948
Marcel Aymé
BOUVARD ET PÉCUCHET
– Nous nous retirerons à la campagne !
Déjà ils se voyaient en manches de chemise, au bord d’une plate-bande, émondant des rosiers, et bêchant, binant, maniant la terre, dépotant des tulipes. Ils se réveilleraient au champ de l’alouette pour suivre les charrues, iraient avec un panier cueillir des pommes, regarderaient faire le beurre, battre le grain, tondre les moutons, soigner les ruches, et se délecteraient au mugissement des vaches et à la senteur des foins coupés.
Plus d’écritures ! plus de chefs ! plus même de terme à payer ! Car ils posséderaient un domicile à eux ! Et ils mangeraient les poules de leur basse-cour, les légumes de leur jardin, et dîneraient en gardant leurs sabots !
– Nous ferons tout ce qui nous plaira ! Nous laisserons pousser notre barbe !
Ils arrivèrent à Chavignolles.
– Nous y voilà donc ! Quel bonheur ! Il me semble que c’est un rêve.
Bien qu’il fût minuit, Pécuchet eut l’idée de faire un tour dans le jardin. Bouvard ne s’y refusa pas. Ils prirent la chandelle et, l’abritant avec un vieux journal, se promenèrent le long des plates-bandes. Ils avaient plaisir à nommer tout haut les légumes :
– Tiens, des carottes ! Ah ! Des choux !
Ensuite ils inspectèrent les espaliers. Pécuchet tâcha de découvrir des bourgeons. Quelquefois, une araignée fuyait tout à coup sur le mur, et les deux ombres de leurs corps s’y dessinaient agrandies, en répétant leurs gestes.
Les pointes des herbes dégouttelaient de rosée. La nuit était complètement noire, et tout se tenait immobile dans un grand silence, une grande douceur. Au loin un coq chanta.
Leurs deux chambres avaient entre elles une petite porte que le papier de la tenture masquait. En la heurtant avec une commode, on venait d’en faire sauter les clous. Ils la trouvèrent béante. Ce fut une surprise.
Déshabillés et dans leur lit, ils bavardèrent quelque temps, puis s’endormirent, Bouvard sur le dos, la bouche ouverte, tête nue ; Pécuchet sur le flanc droit, les genoux au ventre, affublé d’un bonnet de coton, et tous les deux ronflaient sous le clair de lune, qui entrait par les fenêtres.
Bouvard et Pécuchet, 1881
Gustave Flaubert