Audiberti et le cinéma
Extraits de textes de : Jacques Audiberti (Le Mur du Fond, critiques et portraits), François Truffaut.
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Brigitte Belle
- Chloé Donn
- Florence Huige
- Amélie Kierszenbaum
- Claire Lamarre
- Samuel Bonnafil
- Harold Crouzet
- Jean-Claude Penchenat
- Alexis Perret
- Damien Roussineau
- Raphaël Tanant
Lieux
- Forum 104, Paris 6e
- Théâtre de Meudon (92)
- SACD, Paris 9e
« Il me semble qu’autrefois le cinéma, davantage était mobile. À la sortie des salles, les spectateurs, surtout les jeunes, paraissaient, de toute évidence, hantés, habités par un démon légèrement épileptoïde. Ils avaient subi le cinéma-choc. Une furieuse démangeaison, des gestes géométriquement héroïques peuplaient leurs membres. Sans que leurs pieds quittassent le passé, ils montaient à cheval. Ils gardaient les mains dans les poches, mais ils donnaient des coups de poing. Une divagation d’attitudes inscrite sur les angles fulgurants de l’action dans sa frénésie allait jusqu’à se prolonger à l’intérieur de notre rêve.
Le Mur du fond – Écrits sur le cinéma
de Jacques Audiberti
Nous pensions avoir, avec toute sa magie, bouffé le tapis volant de l’écran. […] On était ivre de cinéma. Et cette ivresse provoquait un tangage bondissant qui pouvait, en effet, conduire à de nombreux zigzags du côté de l’impossible et du dangereux. […] Ce que le cinéma possédait, c’était cette capacité à faire réagir le spectateur. Le cinéma était « mobile » et poussait jusque dans ses retranchements le public pour qu’il interfère avec les images qui défilaient devant lui. »
Le Mur du Fond de Jacques Audiberti.
Edith Piaf, je ne l’ai peut-être jamais vue, on n’a pas à découvrir ici son étrangeté morveuse, son genre « préventorium » ni son anatomie de fourchette à huître. Pourtant, dès qu’elle se montre, elle nous captive, elle nous retient… En irait-il de même si nous n’avions jamais entendu parler d’elle, de ses succès ?… Ou bien le mérite singulier d’une existence élue pour une espèce de gloire s’extravase-t-il à coup sûr ?… Quoi qu’il en soit, d’un feuillet à l’autre, on la suit, comme une puce dans des linges douteux, et non pas pour l’écraser, mais pour zyeuter ce qu’elle a dans le ventre, puisqu’il s’agit d’une puce qui chante.
J’aime ces femmes. J’aime ces femmes monstrueuses, ces maritornes trop grandes ou trop courtes, sorties, avec une ingénuité terrible, du hasard de la chair, pour soutenir la poésie.
Edith Piaf chante, certes, mais ce serait trop peu que de dire qu’elle chante…
Ah ! Oui ! Ces femmes sont douées. Elles ont dans l’âme un polype aux sécrétions d’ombre fulgurante. L’enrouement salopard accorde ces remuements augustes et sinistres où le verbe et le timbre s’épousent dans les divers registres de l’émotion, de la prédication, de la vibration, de l’articulation, mis en place par cette mathématique du génie lyrique que ces créatures contractées portent dans leur bosse.
Tout le long de la bande, le démon du cinéma s’écarte poliment pour laisser passer la merveille qui n’est pas de la famille, la cadence villonienne de cette porteuse de pain orphique, de cette marchande de ronces, de cette femme de ménage, Edith Piaf, qui sait faire briller le ténèbre du peuple.