1918 et après…
Autour de Compagnie K, œuvre de l’auteur américain William March, les témoignages des plus grands écrivains engagés et témoins de la 1ère Guerre mondiale : Apollinaire, Audiberti, Blaise Cendrars, Colette, Georges Duhamel, Giono, Anna de Noailles, Erich Maria Remarque, Jules Romains, Alan Seeger…
Mise en espace
- Jean-Claude Penchenat
Distribution
- Inès de Beaupuis
- Chloé Donn
- Nathalie Lacroix
- Geneviève Rey-Penchenat
- Aurélien Baré
- Samuel Bonnafil
- Harold Crouzet
- Jean-Claude Penchenat
- Alexis Perret
- Austin Redfern
- Damien Roussineau
- Raphaël Tanant
- À l’accordéon : Pascal Pallisco
Lieux
- Forum 104, Paris 6e
- Atelier Laurence-Godard, Paris 14e
Décembre 1917
Une compagnie de l’US Marines Corps débarque en France et est envoyée au front. Pour la première fois, les hommes de la Compagnie K découvrent la guerre : attaques de nuit, balles qui sifflent, obus qui explosent, ordres absurdes, grondement de l’artillerie, la pluie et le froid, la tentation de déserter. Les cent treize soldats qui composent cette compagnie prennent tour à tour la parole pour raconter leur guerre, toutes les guerres. L’un après l’autre, ils décrivent près d’un an de combats, puis le retour au pays pour ceux qui ont pu rentrer, traumatisés, blessés, hantés à jamais par ce qu’ils ont vécu.
Inspiré par l’expérience de son auteur, Compagnie K est un roman inoubliable qui s’inscrit dans la droite ligne d’À l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque.
William March dresse là un tableau saisissant de la Grande Guerre telle que l’ont vécue les soldats américains. Salué comme un chef-d’œuvre par de nombreux critiques et écrivains, Compagnie K est traduit pour la première fois en français par Stéphanie Levet.
Soldat Oswald Pollard
Je vais vous raconter un truc drôle : en septembre, un gars de la 4ème section du nom de Fallon a perdu le ciboulot. En plein tir de barrage, il est monté sur le parapet et il y a plus eu moyen de le faire redescendre. On a essayé de lui parler, de le forcer à revenir, mais il en démordait pas.
– Je veux me faire tirer dessus, il répétait. Je sais très bien ce que je fais. Je veux me faire tirer dessus – je me suicide, vous comprenez !
Alors Pig Iron Riggin a sorti son pistolet et l’a braqué sur la tête de ce gars, Fallon.
– Si t’arrêtes pas de te suicider tout de suite, je te tue aussi certain que deux et deux font quatre ! il a crié.
Aussitôt, Fallon est devenu blême et il s’est mis à pleurnicher. Il a sauté dans la tranchée, il s’est jeté à genoux.
– Non ! il a dit. Me tuez pas, je vous en supplie…
Soldat Danny O’Leary
Je voudrais que tu puisses me voir, maintenant, Allan Methot : je voudrais que tu puisses voir ce que tu as créé ! Car oui, tu m’as créé, bien plus complètement que le docker ivrogne dont la semence m’a un jour engendré.
J’étais tellement fruste, tellement bête ; et puis tu es venu. Comment savais-tu ? Comment as-tu pu voir, au travers de toutes les couches, l’infime étincelle qui était cachée en moi ?… Te rappelles-tu nos nuits de garde où tu récitais Shelley et Wordsworth ? Ta voix scandant les vers était la chose la plus belle que j’aie jamais entendue. Je voulais te parler, te dire que je comprenais, te faire savoir que ta foi en moi ne serait pas vaine, mais je n’osais pas. Il m’était impossible de te considérer comme un être humain semblable à moi, ou aux autres hommes de la compagnie… Je te considérais comme une personne tellement supérieure à nous qu’en ta présence je restais muet, et je souhaitais qu’un Allemand saute dans la tranchée dans le but de te tuer pour me permettre d’interposer mon corps entre toi et la balle…
Je restais là à ne pas savoir quoi faire de mon fusil, espérant que tu continuerais à jamais de dire ces vers magnifiques… J’apprendrai à lire ! je me disais. Quand la guerre sera finie, j’apprendrai à lire !…
Où es-tu maintenant, Allan ? Je veux que tu me voies. Ton amitié n’a pas été vaine ; ta foi s’est justifiée… Où es-tu, noble cœur ?… Pourquoi ne me réponds-tu pas ?
« Mais le cri le plus affreux que l’on puisse entendre et qui n’a pas besoin d’une machine pour vous percer le coeur, c’est l’appel tout nu d’un petit enfant au berceau : « Maman ! Maman !… » que poussent les hommes blessés à mort qui tombent et que l’on abandonne entre les lignes après une attaque qui a échoué et que l’on reflue en désordre : « Maman ! Maman !… »
La main coupée, Blaise Cendrars
MON AMOUR !
Jérôme hésite au seuil.
– Julia, il dit, viens voir quel est celui-là qui s’approche dans le chemin ?
Le cœur de Julia a fait un saut. Madeleine est restée avec son aiguille en l’air, et pâle et moite comme une branche tout à coup écorcée, elle a eu le geindre sourd d’une qui a reçu un coup sur la nuque. Joseph ! Julia regarde et dit :
– Non !
C’en est un qui vient sur des béquilles. C’est une jambe qui lui manque.
– Ho ! la maison, crie celui-là, et il rit.
On l’a reconnu à sa voix et à son rire.
– C’est Casimir !
– Mets le café sur le poêle, dit le père.
On l’a fait entrer ; on l’a fait asseoir. Julia a dit :
– Je t’aide ? Et elle a tendu les mains vers les béquilles.
– J’ai l’habitude, a dit Casimir.
Il a engraissé. Il est gras et blême ; gras d’une graisse toute en blancheur et en ballotements. Il en a les yeux presque cachés, de cette graisse.
Ça en a été des « et alors ? » aussi bien d’un côté que de l’autre, et Casimir tape sur les cuisses du père Jérôme et Jérôme a fait le geste de taper aussi, mais il s’est retenu, il a eu peur de taper sur celle qui est vide. Ça n’aurait pas été poli.
– Ho ! Julia, dit Casimir, approche-toi, tu es toujours à côté de ton poêle. Approche-toi que j’ai des nouvelles de ton homme.
– Je fais ton café.
– Ah ! va, café, viens ici que je te dise de ton homme, tu sais qu’il languit !… Va voir Julia, il m’a dit. Et le matin que je suis parti, il s’est penché à la fenêtre et il m’a crié : « Va la voir ! »
– Comment il est ? dit Julia.
– Il est bien. Ça a fini de suppurer, son bras ; il m’a fait voir ; juste une petite étoile, ça va être fini. D’ici un mois il est là. Moi, des fois je fais le tour par les cuisines, parce que là, je me fais monter dans le garde-manger avec le câble. Tu comprends, lui il est au troisième, moi je suis en bas et c’est dur pour monter l’escalier avec ma jambe folle. Je vais à la cuisine, je dis à la sœur : « Ma sœur, montez-moi comme de la viande » ; elle rit, elle me dit : « Vous serez toujours le même. Allons, mettez-vous là dedans. » C’est une cage grosse comme la table. Je me mets là-dedans, bien serré. « Vous y êtes ? » « J’y suis ! » Elle appuie sur le bouton et je monte jusqu’au troisième. « Ho ! Casimir ! » Il me dit. Je vais m’asseoir près de son lit et alors les oreilles doivent vous sonner. On parle de toi, du père, et puis des terres, et puis de toi, Madeleine. Où elle est, Madeleine ?
– Je suis là, dit Madeleine, sans lever les yeux de sa couture.
Le Grand Troupeau, Jean Giono, 1931
Si je mourais là-bas…
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Guillaume Apollinaire
« Nous avions seize années de vie et nous voulions rire »
Frères d’âmes, David DIOP